Lui l'ainé, moi la dernière

J’ai tant aimé mon frère. Lui l’ainé, moi la dernière. Parrain et filleule aussi. Quand je cherche son âge, j’ajoute 10 ans au mien, et le compte est bon. Nous avons partagé beaucoup de choses, à commencer par l’amour presque trop grand de Maman. Et nous étions dans le tiercé gagnant. Elle avait un petit faible pour les plus fragiles de ses enfants. Enfin, fragiles, je ne suis pas sûre que le mot soit le mieux approprié. Curieusement, elle était attirée par nos différences et trouvait toujours de bonnes raisons pour expliquer, sinon transcender, notre penchant pour les chemins chaotiques. Elle prenait nos erreurs pour de la grandeur. Dieu sait pourtant (c’est une façon de parler), que nous n’avons pas lésiné sur les coups de canif donnés au modèle familiale. J’avais la manie des ruptures, lui était presque bigame. J’ai eu la prétention de ne croire en rien, lui a la goût des poles extrêmes. C’est d’ailleurs cette soif d’idéologie qui nous a séparés, lui et moi. Je n’oublierai jamais ce mail tombé sans préavis comme le bouquet final de ses idées macabres. Il était question de l’apocalypse de Saint-Jean… amplement commenté et compris au pied de la lettre. La fin du monde, 40 élus et pas un de plus. Il voulait me sauver. Pendant des semaines, je me suis débattue dans la glue. Un jour, je lui ai ordonné de cesser de m’écrire, de ne plus chercher à me convaincre de quoi que ce soit. Qu’il me parle de la pluie et du beau temps si l’envie lui prenait mais qu’il garde ses convictions et son nouveau Dieu tout puissant. Je voulais rester avec les cancres, prés du radiateur, au fonds de la classe. Je ne voulais pas de son sauvetage, sa vie éternelle me donnait la nausée. Voila. Depuis ma réponse, et une longue nuit de dialogue de sourds, depuis sa première colère, je ne sais plus que je l’aime.