Tableau de vie
Il y a deux ans et des brouettes, avant de rencontrer mon Xy je tenais un tableau de vie quotidienne. J'avais trouvé ça toute seule : comme un dernier recours. Il s'agissait de noter les progrès ou les régressions, de suivre l'évolution de mes rythmes et de mes tourbillons. Tous les 7 jours, j'appuyais sur la fonction Somme du tableau Excel, avec l'espoir d'être dans le rouge ou, au moins, de décrocher un Zéro. Le chiffre le plus proche de l'équilibre. Zéro, Zéro défaut, Zéro addiction, Zéro trouble. J'avais listé tous les symptômes sur le mode « bulletin scolaire ». Les objectifs étaient modestes, à la mesure du cahos: se réveiller, se lever, s'habiller, faire trois pas avec les chiens, manger, boire du thé, ne pas boire de vin, modérer le temps passé sur la toile, répondre au téléphone, envoyer trois mails, se coucher avant minuit.
J'étais en décalage horaire depuis si longtemps.
Depuis le Liban.
Le jour, je dormais, enfermée dans la chambre du haut. Bu-bu, mon assistante,
essayait de me ramener aux affaires courantes. Dieu sait qu’il y avait du taf. Le
bureau était juste en dessous, accessible par un escalier de meunier. Elle a
renoncé, épuisée par ce commerce avec ma dépression. Bu-bu est partie un
matin. Juste le temps d'annoncer qu'elle ne reviendrait pas. Cinq, dix minutes
montre en main pour faire son sac. Elle était pâle, aux abois, pétrifiée
par sa décision. Je ne l'ai jamais revue. Mes demandes de commentaires sont
restées lettre morte. Elle a sauvé sa peau. Je la comprends bien sûr. Le
moyen de faire autrement ? Mon petit a suivi le mouvement quelques mois
plus tard. Il lui a fallu beaucoup de courage pour se sauver et me laisser
enfin toucher le fonds. La dépression est un enfer pour les autres. Et la,
j'avais vraiment mis le paquet, enfermée à double tour dans la douleur.
Complètement paralysée. Ces années là,
je mourrais toutes les nuits: noyade, accident, suicide masqué. Je rêvais d'une
maladie honnête. Un truc qui laisse aux autres des regrets et le souvenir d'une lutte courageuse. Ben oui, soyons cash: je rêvais d'un cancer, d'une
maladie irréversible. Je rêvais d'empathie, de compassion, d’une cérémonie
émouvante. Ca peut choquer, n'hésitez pas à lever le poing. Si j'ai
ouvert ce blog, ce n'est pas pour faire joli. Qui oserait dire à une
cancéreuse : fais un effort, bouge toi, ne te laisse pas aller, lève toi et
marche. Personne et surtout pas moi. Car j'étais sans doute le pire de mes
juges. Bouffée par la culpabilité. Je sais, c'est scandaleux... mais je l'ai
pensé si fort.
Ben voila... ca c'est fait. Un petit encas
joyeux, histoire de bien commencer la journée.
PS: va falloir que je trouve le moyen de raconter sans utiliser le
"je" à tout bout de champs. C'est lassant, le je.
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